« Palestine vaincra ! » : acteurs, réseaux et pratiques concrètes de l’engagement en faveur de la cause palestinienne en France (années 1960-années 1980)

À partir de la guerre des Six Jours (1967) jusqu'à la fin des années 1980, la France est le théâtre d'un certain nombre de manifestations en faveur du soutien au peuple palestinien. Des réseaux de soutien sont créés afin d'apporter une aide aussi bien matérielle que symbolique aux Palestiniens. Cet engagement résulte d'un processus d'identification aux revendications des Palestiniens. Il s'agit d'étudier les ressorts de cette mobilisation à travers les enjeux de mobilisation émotionnelle et de mobilisation physique des acteurs du soutien à la cause palestinienne en France. L’étude des parcours militants dans différentes organisations politiques est ici utile. La mobilisation et le soutien aux Palestiniens interviennent dans un contexte de mobilisation à l’échelle mondiale en faveur des peuples opprimés du Tiers-monde ou pris dans les feux de la Guerre froide. L’engagement pour les Palestiniens s’inscrit dans un mouvement plus large de soutien au peuple vietnamien, aux Biafrais ou aux noirs d’Afrique du Sud. Dans le cas particulier de la France, cette mobilisation s'inscrit dans une période postérieure à la guerre d’Algérie, un moment où la France tente un rééquilibrage diplomatique à destination des pays arabes. Pour les militants de la cause palestinienne, et plus particulièrement pour les plus âgés d'entre eux, cet engagement succède à plusieurs engagements précédents dans la Résistance française ou contre la guerre d’Algérie.

L’engagement politique dans la cause palestinienne

L’engagement dans une cause politique induit un certain type de comportements politiques et de mobilisations. Elle est le corollaire d’un projet politique porté par des acteurs selon des modalités d’action spécifiques. En cela, il convient de distinguer ce qui relève du traditionnel et ce qui relève de l’inédit ou du nouveau dans les mobilisations en faveur d’une cause. L’étude d’une cause politique passe ainsi par l’étude des différents répertoires d’action collective mis en œuvre par les protagonistes de la cause. La sociologie politique définit une cause politique comme « un agir-ensemble intentionnel, marqué par le projet explicite des protagonistes de se mobiliser de concert ». Plusieurs caractéristiques ressortent de cette définition. Tout d’abord, soutenir une cause politique nécessite une action : loin d’être un spectateur, le militant de la cause à défendre se doit d’être un acteur politique. Le soutien à une cause politique nécessite donc un engagement de la part du militant, un investissement en temps, un don de soi. De plus, cet engagement, intellectuel et physique, se concrétise sur le temps long et il ne peut s’agir d’un engagement purement ponctuel, circonstanciel. La question du désintéressement du militant est centrale. Ce dernier ne cherche a priori aucune contrepartie matérielle à son engagement. Il existe cependant toute une série de rétributions morales, spirituelles ou intellectuelles qu’un militant peut retirer de son engagement politique.

Ensuite, l’engagement en faveur d’une cause implique une prise de conscience collective et pas seulement individuelle. Il faut mobiliser, et pour cela il faut être plusieurs. La mobilisation en faveur d’une cause implique donc une action collective dans laquelle les militants puissent se reconnaître en tant que défenseurs de la même cause, partager une identité et des valeurs communes. L’engagement politique conduit nécessairement à un processus de socialisation politique. Enfin, le projet politique porté par les militants de la cause doit être explicite car c’est dans ce projet que se reconnaissent les militants. Il s’agit ici d’expliciter le projet par des slogans, des mots d’ordre, des signes et des symboles de ralliement. Pour que le projet puisse être compris par un maximum d’individus, il convient également d’éduquer les militants à la cause et de les informer, ce qui implique d’étudier la production écrite (journaux, revues, tracts, affiches) par ces militants. Comme celui de l’écrivain, l’objectif du militant est « de faire en sorte que nul ne puisse ignorer le monde et que nul ne s’en puisse dire innocent ».

Cette volonté de former un mouvement de sympathie et d’adhésion à un projet politique a pour but de rassembler un maximum d’individus venant d’organisations différentes sur le plan politique et idéologique. Ainsi, s’engager sur le terrain d’une cause spécifique comme la cause palestinienne signifie laisser de côté les distinctions (conservateurs, démocrates-chrétiens, socialistes, communistes, gaullistes) et les classifications politiques traditionnelles (droite/gauche). L’intention est de se retrouver sur un terrain d’entente, un terrain commun : la défense des Palestiniens. L’essentiel des mouvements et associations créées spécifiquement pour venir en aide aux Palestiniens demeure œcuménique et apolitique dans le sens où il n'est affilié à aucun parti politique en particulier. Au contraire, leur raison d’être est le regroupement d’individualités, de personnalités appartenant aux différents courants structurant la vie politique française. Le soutien à la cause palestinienne en France s’organise en outre par la création de structures parapolitiques assez souples. Ces structures ne sont pas des institutions politiques à proprement parler telles que des partis politiques, mais agissent autour et à côté de la politique. Ces structures prennent la forme d’associations, de cercles ou groupes d’experts, d’intellectuels dont le but est d’une part de faire prendre conscience à un public large de la nécessité de défendre une cause. D’autre part, la fonction de ces associations et groupes politiques est de promouvoir la cause défendue auprès des institutions politiques plus facilement reconnaissables comme les partis, les syndicats, les ministères, les gouvernements et l’exécutif. En cela, ces associations parapolitiques se rapprochent de ce qu’il convient d’appeler des groupes de pression ou lobbies. Trois associations ou groupes politiques sont particulièrement actifs dans le soutien à la cause palestinienne en France : le Groupe de Réflexion et d’Action pour le règlement du Problème Palestinien (GRAPP) fondé autour de l’intellectuel Maxime Rodinson et l’Association de Solidarité Franco-Arabe (ASFA) autour de l’ancien ministre du général de Gaulle Louis Terrenoire toutes deux fondées en 1967, ainsi que l’Association Médicale Franco-Palestinienne (AMFP) créée en 1974 autour du médecin rhumatologue Marcel-Francis Kahn, qui sera par la suite absorbée par l’Association France-Palestine (AFP) au début des années 2000. En assumant ce rôle d’influence sur les structures traditionnelles de la vie politique (partis, syndicats, Parlement, gouvernement, ministères, chef de l’État), ces associations participent au cours des années 1970 d’un plus vaste mouvement de redéfinition de la manière de faire de la politique, c’est-à-dire faire de la politique autrement.

Une succession d’engagements

Dès lors, la dimension biographique dans l’analyse de ces structures associatives est fondamentale. La nécessaire prise en compte des parcours biographiques des différentes personnalités impliquées dans la vie de ces associations permet de mettre en lumière la généalogie de leurs engagements. En effet, pour beaucoup, l’engagement en faveur de la cause palestinienne n’est pas le premier engagement politique et fait suite à de nombreux engagements dans le passé. L’engagement résistant est en cela caractéristique de l’engagement de Louis Terrenoire ou de Claude Bourdet. Le premier fut résistant et déporté pendant la Seconde Guerre mondiale. Actif aux côtés du général de Gaulle, il s’engage fortement dans le soutien aux pays arabes et plus particulièrement aux Palestiniens à travers la revue France-Pays Arabes qu’il a fondée avec Lucien Bitterlin. Le second fut lui aussi engagé dans la Résistance. Après la guerre, c’est au sein du PSU et de France Observateur qu’il s’engage en dénonçant la guerre d’Algérie. La référence à la Résistance est constante dans le discours sur les événements au Proche-Orient. La presse en faveur d’Israël utilise à loisir l’expression « Nasser = Hitler ». De même, la guerre des Six Jours et les attaques contre Israël réactivent chez certains la peur d’un nouveau génocide. De manière plus générale, on constate que dans les années 1960 et 1970 les mémoires de la Seconde Guerre mondiale sont très fréquemment mises en avant par les acteurs politiques, notamment par les militants d’extrême gauche.

Dans ce contexte, plusieurs anciens résistants apportent ponctuellement ou sur une plus longue durée leur soutien aux Palestiniens. Ainsi, un premier élément d’explication de ce phénomène d’agrégation autour d’une cause politique peut tenir dans la réactivation de certains réseaux militants hérités de la période de la Résistance. Les soutiens de la cause palestinienne mobilisent leurs ressources et contacts. Le rôle des relations interpersonnelles est ici fondamental pour comprendre l’engagement autour d’une cause. Dans une certaine mesure, s’engager aux côtés des Palestiniens est donc une forme de résistance : résistance au discours très largement en faveur d’Israël en France en 1967, résistance aussi auprès des Palestiniens qui combattent pour leur libération nationale. Ceux qui s’engagent pour les Palestiniens disent « non » à un état de fait et ont la volonté de « se reconnaître en tant que résistants ». Se rejoindre autour d’une cause c’est se rassembler dans un moment exceptionnel : il faut que le contexte, la situation extérieure justifient l’engagement pour la cause.

À circonstances exceptionnelles (guerres), décisions exceptionnelles. Pour autant, la référence à la période de la Résistance a ses propres limites lorsqu’il s’agit d’analyser le cadre institutionnel dans lequel s’effectue le soutien aux Palestiniens. Loin d’un contexte d’occupation et de régime dictatorial, la France des années 1960 et 1970 laisse une liberté de parole assez large aux défenseurs de la cause palestinienne, a fortiori lorsque ce mouvement vient en soutien de la politique étrangère de la France dans le monde arabe.

Un autre moment fondateur de l’engagement de plusieurs militants de la cause palestinienne en France est l’engagement contre la guerre d’Algérie. Si la filiation entre ces deux luttes de décolonisation n’est pas automatique pour tous les militants de la cause palestinienne, elle a tout de même été un moment d’apprentissage du militantisme pour un certain nombre d’entre eux qui n’hésitent pas à réutiliser la grammaire de l’anticolonialisme lorsqu’ils se mobilisent pour les Palestiniens. Ainsi, l’on retrouve dans ces deux mouvements de soutien à une lutte de libération nationale des figures communes (Albert-Paul Lentin, Claude Bourdet, Georges Montaron, Pierre Vidal-Naquet), des lieux communs (universités, usines, églises) et des espaces de discussion communs (revues, journaux, maisons d’édition). Le contexte de mai 1968 et des années qui suivent donne encore plus de résonance aux mémoires de la guerre d’Algérie, notamment lors des mobilisations d’ouvriers immigrés pendant cette période. L’analogie avec la guerre d’Algérie pose la question du rapport légalité/légitimité : l’illégalité de certains actes peut devenir légitime. Si de nombreuses actions pendant la guerre d’Algérie se sont faites dans l’illégalité, elles n’en étaient pas moins légitimes aux yeux de ceux qui les perpétraient. En ce qui concerne le soutien à la cause palestinienne, on trouve dans les actions de l’extrême gauche française le même rapport à la légalité puisque les actions violentes sont illégales, mais elles apparaissent avant tout comme légitimes aux yeux des acteurs politiques. La légitimité de ces actions est justifiée par le sort que subissent les Palestiniens et la nécessité de lutter à leurs côtés. Il y a une dimension morale dans l’engagement en faveur d’une telle cause politique : l’impératif moral oblige à soutenir les Palestiniens au nom d’une certaine conception de l’homme. Cette dimension morale de l’engagement coïncide en partie avec une dimension religieuse présente chez les chrétiens défenseurs des Palestiniens. Alors que le soutien aux Palestiniens rassemble le plus largement possible les différentes opinions politiques et religieuses, le christianisme comme dénominateur commun peut être un élément explicatif de l’engagement propalestinien. Les soutiens des Palestiniens partagent un sentiment d’appartenance commune, ils font communauté.

Le soutien à une cause se traduit également par un mouvement de sympathie envers l’objet de la cause. Ici, les Palestiniens sont les destinataires du soutien accordé par des personnalités et des associations. Ce soutien se traduit dans des actes et des discours montrant l’adhésion des militants aux idées politiques et aux valeurs portées par les Palestiniens. Au-delà de la sympathie envers un mouvement politique, les liens étroits qui se tissent entre militants de la cause palestinienne en France et Palestiniens reposent sur des sentiments plus profonds comme l’empathie et la compassion, c’est-à-dire la capacité à comprendre et à faire siennes les émotions et les souffrances du peuple palestinien. S’opère ainsi un effet de « souffrance à distance » dans lequel des militants a priori fort éloignés du sort des Palestiniens en viennent à partager leurs souffrances et à militer en faveur de leurs droits. On retrouve dans ce soutien de nombreux éléments présents dans les mouvements de solidarité envers d’autres peuples en lutte comme le peuple vietnamien. La rhétorique humanitaire joue un rôle important dans la mise en condition et dans la formation des militants et nécessite un certain nombre de relais médiatiques. Ainsi, les relais médiatiques de la cause palestinienne sont mis à contribution afin de mobiliser les militants ainsi que l’opinion publique. La presse (Témoignage chrétien, Le Monde diplomatique), la radio (Europe 1, France Culture) et la télévision (Première chaîne puis TF1, Antenne 2) couvrent donc les différents conflits du Proche-Orient et utilisent de manière intensive leurs réseaux de correspondants et d’envoyés spéciaux afin de rendre compte au plus près de la réalité dans laquelle vivent les populations palestiniennes. Le discours de vérité et le choc des images sont autant d’éléments mis à disposition des militants pour se forger leur propre opinion sur le conflit israélo-palestinien.

Les acteurs de la cause palestinienne dans les « années 68 »

À l’extrême gauche, la cause palestinienne a été portée par des mouvements sociaux liés à l’immigration nord-africaine présente en France. Lors des nombreuses manifestations de défense des immigrés et de revendication de droits pour les immigrés, la cause palestinienne est mise en avant. À l’origine de la création d’un mouvement comme le MTA (Mouvement des Travailleurs Arabes) en 1972, on retrouve les Comités Palestine créés par des étudiants et ouvriers arabes proches des maoïstes. La création de tels comités prend exemple sur les Comités Vietnam français créés pour soutenir le Vietminh pendant la guerre du Vietnam. C’est dans ces cercles militants que le soutien au peuple palestinien est rapidement lié à la question de l’immigration en France. Ainsi, les partis et mouvements d’extrême gauche (principalement trotskistes et maoïstes) en France dans les années 1960 et 1970 comme la Ligue Communiste ou la Gauche prolétarienne s’approprient les thèmes et les symboles de la cause palestinienne. Cette cause s’inscrit dans un continuum d’engagements liés à la solidarité internationale. Dans le sillage de mai 1968, ces nombreux groupes d’extrême-gauche, se mobilisent pour soutenir les Palestiniens. Ces militants investissent l’imaginaire de la cause palestinienne. Ils utilisent les différents référents culturels qui leur permettent de se comparer aux combattants palestiniens, c’est-à-dire ceux que l’on appelle les fedayin. Ainsi, la coiffe des Palestiniens, le keffieh, devient à la mode et est portée autour de la tête par les guérilleros palestiniens aussi bien que par les militants d’extrême gauche en France. Par conséquent, de nombreuses couvertures de publications d’extrême gauche reprennent ce symbole du keffieh associé à celui du fusil du combattant dans l’imaginaire collectif. Ces éléments deviennent un lieu commun dans la représentation que l’opinion publique se fait des Palestiniens et surtout des combattants palestiniens. En cela, la prise d’otages puis l’assassinat par des terroristes palestiniens contre des athlètes israéliens lors des Jeux olympiques de Munich en septembre 1972 est le point d’orgue de la représentation de cette violence armée. L’attaque sanglante de Munich marque aussi un tournant dans l’engagement politique des mouvements d’extrême gauche en France en faveur des Palestiniens. Pour de nombreux leaders de la Gauche prolétarienne maoïste ou de la Ligue Communiste trotskiste, la résurgence de leur passé familial joue un rôle important dans l’arrêt du militantisme propalestinien. En effet, de nombreux dirigeants de ces organisations sont juifs ou de culture juive, issus de familles juives, qui ont été marquées par l’antisémitisme. Le fait de s’en prendre à des athlètes, symboles de l’innocence, amène plusieurs dirigeants d’extrême gauche à poser des limites à leur engagement en faveur des Palestiniens. C’est ainsi qu’une ligne rouge infranchissable est tracée par ces militants, comme le rappelle Daniel Bensaïd dans Rouge à la suite de l’attaque de Munich. Les mouvements d’extrême gauche se trouvent confrontés à leur antisionisme virulent et au risque que ce dernier se transforme en antisémitisme. Le temps où Yasser Arafat était comparé à Alain Geismar dans les colonnes de La Cause du peuple, journal de la Gauche prolétarienne, semble donc révolu aux environs de 1972, 1973. Les militants ouvriers issus de l’immigration nord-africaine qui avaient rejoint ces mouvements d’extrême gauche demeurent en outre délaissés. Ils se reconvertissent progressivement au cours des années qui suivent dans la défense des intérêts des travailleurs immigrés, en particulier dans la défense des conditions de travail et de résidence des immigrés sur le sol français. Pour ces militants, le passage de la cause palestinienne à la cause immigrée se fait dans cette décennie.

Les autres mouvements politiques ne sont pas en reste de leurs divisions internes quant au soutien à apporter ou non aux Palestiniens. La SFIO est étroitement liée au parti travailliste israélien et apporte son soutien à l’État d’Israël en 1948, 1956 et 1967. Cependant, alors que le parti se transforme à partir du congrès d’Épinay de 1971 sous l’impulsion de François Mitterrand, un discours plus en faveur des droits du peuple palestinien voit le jour. Ce changement intervient à la faveur des transformations que connaît le PS : afflux de militants venant du PSU autour de Michel Rocard, rôle accru de nouvelles générations de militants (autour du CERES de Jean-Pierre Chevènement, rôle de Lionel Jospin en charge des affaires internationales et du Tiers-monde), rôle de l’entourage de Mitterrand comme Claude Estier, Éric Rouleau. Passé par France Observateur et Le Monde, Claude Estier participe activement à l’accession de François Mitterrand à la tête du PS puis à l’Élysée. Dès 1967, il alerte le responsable socialiste sur le sort des réfugiés palestiniens. Pour le conseiller de Mitterrand, il s’agit de mettre fin à cette situation intenable en insistant sur le fait que « la création d’un État arabe palestinien en Cisjordanie pourrait y contribuer ». Loin d’être partagé par l’ensemble des socialistes français, le soutien à la cause palestinienne est néanmoins présent chez certains d’entre eux. Lors des négociations entre le PS et le PCF pour établir un Programme commun de gouvernement, des divergences apparaissent entre les deux partis. La ligne adoptée demeure très mesurée. Ainsi, les signataires évoquent de manière prudente les « droits nationaux du peuple arabe de Palestine ».

Intellectuels et associations au cœur de la solidarité internationale

Plusieurs cercles intellectuels et associations regroupant personnalités politiques, scientifiques, littéraires et culturelles se créent pour soutenir les Palestiniens. Autour de la figure de Maxime Rodinson, le Groupe de Réflexion et d’Action pour le règlement du Problème Palestinien (GRAPP) s’organise pour développer un discours politique de critique de l’action d’Israël et de soutien aux droits du peuple palestinien. Ce groupe s’attache à agréger des intellectuels et militants venus de courants politiques divers (PSU, PCF…) et diffuse bulletins et circulaires afin de tenir ses membres informés de l’évolution du conflit au Proche-Orient. L’Association Médicale Franco-Palestinienne (AMFP) créée entre autres par le médecin Marcel-Francis Kahn s’occupe en priorité du soutien médical et humanitaire à destination des Palestiniens. Les collectes de médicaments et de vêtements s’organisent sur le territoire français. Des meetings de soutien aux Palestiniens sont régulièrement organisés par l’AMFP afin de sensibiliser l’opinion à la situation sanitaire des civils palestiniens. Ainsi, lors d’un rassemblement organisé à la Mutualité en mai 1976, l’AMFP rappelle que « la santé d’un peuple est un tout » et qu’elle est « foulée aux pieds par les autorités sionistes, et sont l’objet des violations et des atteintes les plus cyniques.

L’action des gaullistes se fait, outre à la tête de l’exécutif et au gouvernement, à travers des personnalités comme Louis Terrenoire qui entend jouer un rôle de passeur entre les représentants des Palestiniens en France et les représentants de l’État. À travers l’action de l’Association de Solidarité Franco-Arabe (ASFA) qu’il a contribué à créer, de nombreux contacts sont établis avec les représentants successifs de l’OLP à Paris (qui est reconnue en 1975 par Valéry Giscard d’Estaing), qui rencontrent des diplomates français du Quai d’Orsay, à l’instar de Fernand Rouillon, ambassadeur de France en Syrie de 1975 à 1981.

L’ASFA demeure également proche du RPR de Jacques Chirac. Très proche des milieux chrétiens, notamment à travers la figure de Louis Terrenoire, l’ASFA prend fait et cause pour les Arabes tout au long des années 1960 et 1970. En 1989, Louis Terrenoire publie un ouvrage sur les relations entre de Gaulle et le Proche-Orient publié aux éditions du Témoignage chrétien. Ce journal, outil mis au service de l’engagement des chrétiens de gauche et des chrétiens plus généralement, est le fer de lance de la solidarité envers les Palestiniens en France. Les chrétiens de gauche se mobilisent ainsi comme ils le firent dans le soutien aux Vietnamiens pendant la guerre du Vietnam. Sa dénonciation de la politique d’Israël y est constante et très virulente. Avec la personnalité de son directeur, Georges Montaron, le journal prend l’initiative de publier avec régularité de nombreux articles relatant les événements du Proche-Orient. On y trouve ainsi des témoignages de prêtres et sœurs chrétiens installés en Palestine qui vivent le conflit et la persécution des Palestiniens. Le vocabulaire est volontiers martyrologique. Les Palestiniens sont fréquemment présentés comme victimes des souffrances de la guerre. Ce peuple martyr auquel il faut apporter de l’aide est comparé à la figure de Jésus Christ ayant lui aussi souffert sur la Terre sainte. À grand renfort de reportages et d’articles aux titres percutants, le journal devient central dans la solidarité envers les Palestiniens car il en pose les justifications théoriques, voire théologiques. Son directeur n’hésite pas à comparer le Christ à un réfugié palestinien et les Palestiniens sont décrits comme un peuple persécuté.

L’engagement auprès des Palestiniens en France à partir de 1967 mobilise donc des personnalités venant d’horizons différents, et des mouvements politiques de toutes tendances confondues. Le phénomène de solidarité internationale prend tout son sens en ce qui concerne la solidarité avec les Palestiniens. D’une part, cette solidarité s’exprime dans les paroles et les revendications des acteurs de la cause palestinienne. Les mots d’ordre, slogan et phrases-chocs sont repris parfois telles quelles. Du point de vue symbolique, l’identification de certains militants aux résistants palestiniens est parfois totale. Ce mimétisme montre l’intériorisation de la lutte palestinienne par leurs défenseurs. D’autre part, la solidarité s’exprime à travers des actes concrets qui accompagnent les revendications. Le nombre de meetings concernant la Palestine ne cesse de croître durant les années 1970. Des manifestations ainsi que des grèves reprennent les thèmes de la cause palestinienne. Par exemple, lors des obsèques du militant maoïste Pierre Overney, de nombreux drapeaux et slogans palestiniens apparaissent. La solidarité en actes se traduit également par l’aide humanitaire apportée aux civils palestiniens ainsi que par une volonté de comprendre le conflit israélo-palestinien en se rendant directement sur les lieux du conflit. De multiples façons de venir en aide aux Palestiniens voient le jour entre 1967 et les années 1980. Ces répertoires d’action collective ont mobilisé un nombre non négligeable d’acteurs politiques et sociaux tels que partis, associations et mouvements politiques. Le soutien aux Palestiniens s’inscrit dans une série de mobilisations envers des peuples en lutte pour leur libération dans les années 1960-1970, comme ce fut le cas pendant la guerre du Vietnam. Si l’on retrouve des éléments de comparaison avec d’autres phénomènes de solidarité internationale, notamment dans les actions collectives, certaines caractéristiques demeurent propres au mouvement de soutien à la cause palestinienne.

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